Découverte surprenante dans un tableau du 19e siècle

Denis François Delemme brandissant le drapeau liégeois
Comte de Berlaymont ( ?) : en cours d’identification.

19e siècle
Huile sur toile – 49 x 62.5 cm (hors cadre)
Département des Arts décoratifs
GC.ADC.05b.1909.59088

9/80

La Ville de Liège a acquis en 1909 une peinture à l’huile où l’on peut lire, en lettres d’or :
« Delemme, Denis François, chevalier de la Légion d’honneur, a arboré le premier le drapeau aux couleurs liégeoises le 28 août 1830. La Ville de Liège était encore aux pouvoirs des hollandais.
Signé le Cte de Berlaymont ».

La composition est quelque peu académique. Les diagonales de l’œuvre sont soulignées par le sabre recourbé, la jambe droite du sujet et le drapeau brandi, accentuant la posture centrale et avantageuse de Delemme, pistolets à la ceinture et moustache conquérante. La Croix de la Légion d’honneur brille sur sa poitrine.

CURSUS HONORUM

Incorporé en France comme simple volontaire au 26e régiment de chasseurs à cheval, Delemme combat déjà à la bataille d’Austerlitz en 1805. En 1806 et 1807, il assiste à la campagne de Prusse. De 1808 à 1811, il fait les campagnes d’Espagne. En 1812 et 1813, il combat en Allemagne et non en Russie, ce qui permet d’ailleurs probablement à cette histoire d’avoir une suite !
Promu au grade de brigadier puis à celui de maréchal-des-logis, il retourne en France pour y combattre les Russes en 1814. Cette même année, un acte de bravoure extraordinaire, dont les faits se sont passés à Saint-Dizier, lui vaut la décoration de chevalier de la Légion d’honneur.

Il assiste en 1815 à la bataille de Waterloo. De retour à Liège lorsqu’éclate la Révolution belge de 1830, il est le premier à appeler ses concitoyens à la révolte et hisse le drapeau liégeois.
Delemme entre alors dans l’armée belge, il participe au blocus de Venloo et est décoré de La Croix de Fer en avril 1835. Enfin, en 1858, il reçoit la médaille de Sainte-Hélène(1).

DIAGNOSTIC ET RESTAURATION

L’œuvre était recouverte d’un épais vernis jauni, modifiant son chromatisme initial. L’avant et l’arrière-plan se fondaient en un plan unique, annulant les effets de profondeur. Des taches de moisissure recouvraient ponctuellement la couche picturale. Le support en toile de lin ne présentait aucune altération. Le traitement a commencé par un nettoyage superficiel, afin de faire disparaître l’encrassement de surface. Le vernis jauni a ensuite été allégé à l’aide de solvants choisis en fonction de leur efficacité. Une couche de vernis de travail a été appliquée afin d’isoler les mastics et retouches de la matière picturale originale. Un mastic a permis de combler les quelques petites lacunes visibles dans le ciel : elles ont été retouchées de manière illusionniste. Au revers, l’œuvre était étanchéifiée par un carton qui a eu comme conséquence d’empêcher la circulation de l’air et les échanges d’humidité entre le tableau et l’extérieur, ce qui a favorisé la formation d’eau de condensation et de moisissures.

Le carton a été enlevé et c’est à ce moment qu’ont été découvertes deux enveloppes. Six lettres et neuf coupures de journaux, rapportant pour la plupart les faits de bravoure du chevalier de la Légion d’honneur, s’y trouvaient. De hauts personnages manifestent leur satisfaction de la conduite du soldat et un dernier document consigne les actions d’éclat de Delemme, les batailles auxquelles il a participé, ses blessures aussi. Il appartiendra aux historiens d’en faire l’analyse.

RÉVÉLATIONS

Les restaurateurs sont coutumiers de la découverte. Ici, un repentir, là une signature oubliée ou une image effacée, un dessin sous-jacent réapparaît au rythme lent du traitement de l’œuvre.
Plus rarement, au gré d’un rentoilage ou de la consolidation d’un châssis, la révélation est d’une toute autre nature : le tableau a servi à cacher (ou simplement préserver) un document que son propriétaire jugeait précieux, le tableau ne se prêtant pas par nature à la dissimulation d’objets plus volumineux.

La préciosité de l’écrit ainsi retrouvé change sa nature. Celui ou celle qui l’avait dissimulé y portait un intérêt spécifique (testament, lettre d’amour, reconnaissance de dette, souvenir...). Le restaurateur – qui le découvre bien longtemps après que le document ait perdu sa valeur originelle – tisse avec lui un lien particulier, au-delà de la simple curiosité historique ou scientifique, comme le partage d’un secret bien gardé ou d’un souvenir enfoui. Mieux comprendre, mieux connaître, mais aussi imaginer, écrire, sinon l’histoire, du moins une histoire : c’est le plaisir incomparable que cette archéologie du hasard peut apporter à qui découvre un trésor, souvent modeste.

Sous le texte apparaît la mention : « Signé le Cte de Berlaymont ». Ceci signifie-t-il que la toile a été peinte par le Commandant-général de la Garde Urbaine liégeoise ? La question mérite d’être posée et nécessitera des recherches plus approfondies. Un des documents retrouvé au dos de la toile souligne la volonté du Comte de mettre en avant le haut fait de Denis François Delemme.

Élément bibliographique
Chronique archéologique du Pays de Liège, 4 e année, N°1, Janvier 1909, p. 103-106.

(1) La médaille de Sainte-Hélène a été créée par le second Empire. Elle était attribuée collectivement à tous les participants d’une campagne militaire

Par Christophe Remacle • Conservateur – Restaurateur
Musées de la Ville de Liège

Galerie photos - dans l'ordre d'apparition

1) Détail de l’œuvre, en cours d’allègement du vernis
2) Documents découverts au dos de l’œuvre
3) Détail des services et campagnes militaires de Denis François Delemme