Une paire de nautiles qui soulève des questions

Le coquillage dans l’histoire de l’art

Si la nacre des coquillages est utilisée depuis l’Antiquité pour orner des objets précieux, l’intérêt pour la diversité et la beauté des spécimens eux-mêmes se développe en Europe avec les grandes découvertes. 

Dès la fin du 16e siècle, le nautilus pompilius, issu de l’océan Pacifique, est très recherché pour prendre une place d’honneur dans les cabinets de curiosités, particulièrement en Allemagne et aux Pays-Bas, suite au développement du commerce en provenance des Indes orientales. La couche externe de la coquille est souvent dépouillée afin de révéler la surface nacrée située en-dessous. Les pièces richement gravées sont alors montées en argent et vermeil, sous forme de coupe à boire plutôt décorative qu’utilitaire. 

Le succès de ces spécimens se propage ensuite vers l’Angleterre et la France. Il perdure tout au long des 17e et 18e siècles, ce dont témoigne leur présence dans les natures mortes ou dans les collections de naturalia des érudits des Lumières.

Ce sont des objets purement décoratifs, des bibelots à exposer à la vue de ses hôtes afin de les éblouir et de les intriguer. Il s’agit souvent de pièces uniques, des montures en paire sont exceptionnelles. 

Aujourd’hui, toutes les espèces de nautiles sont menacées par la surpêche. Depuis 2016, leur commerce est régulé par la Convention de Washington.

 

 

La paire de nautiles du Grand Curtius

C’est en 1910, grâce à la volumineuse donation de Mlle Sophie Moxhon (plus de 2.500 objets), que cette étonnante paire de nautiles en coupe est entrée dans les collections du Grand Curtius.

La surface du coquillage est polie jusqu’au nacre, à la meule ou à l’acide, et est ensuite finement gravée d’un décor de personnages fantastiques (sphinx, termes, etc.), de rinceaux, de fleurs, d’animaux et de cornes d’abondance. Pour les rendre apparentes, ces incisions sont rehaussées à l’encre noire. Le nautile est ensuite inséré dans une monture en argent ciselé, partiellement dorée, garnie de figures et d’ornements. Des bandes de résille ajourée, assemblées par des charnières, suivent les lignes structurelles de la coquille et la maintiennent au piédestal. La présence des charnières atteste que ces pièces étaient régulièrement « démontées » pour le nettoyage.

Le décor des montures est souvent en lien avec le thème marin ou avec la fonction de boire : les coupes sont soutenues par une figure de satyre en ronde bosse qui surmonte un fût décoré de trois bustes de femmes (des nymphes ou harpies) alternant avec des coquilles de Saint-Jacques. Au sommet de la coupe trône une autruche en ronde bosse. 

Contrairement aux parties supérieures, les deux pieds ne sont pas identiques. Celui de la pièce gauche présente un décor en relief de mascarons, de rinceaux et de cornes d’abondance, dans une forme et une technique en harmonie avec le reste de la coupe. L’autre pied est d’aspect plus classique, décoré de rinceaux finement ciselés, et ne semble pas être d’origine.

 

 

Origine et datation mystérieuses

Dans le cas des coupes du Grand Curtius, les pieds ne sont pas de la même époque, ce qui explique la présence de poinçons différents, chassés dans le bord des pieds. Le décor de la pièce droite est plus fin et plus récent. Deux thèses peuvent être avancées : il s’agit soit d’une paire contemporaine, datant du 17e siècle, dont l’un des pendants (la pièce de droite) a dû être restauré au niveau du pied, probablement suite à un dégât qui a également abîmé le coquillage. Soit la pièce de gauche était une coupe unique et indépendante, créée au 17e siècle, à laquelle on a ajouté un pendant au cours du 19e siècle. Mais dans le cas de cette deuxième hypothèse, pourquoi un pied différent aurait-il été utilisé pour une copie autrement parfaite ?

L’identification des poinçons permettra probablement d’élucider la question de la datation et du lieu de création de cette paire de nautiles.

 

 

Carmen Genten

Conservatrice 

Département des Arts décoratifs du Grand Curtius

 

Emplacement de l'objet

Les nautiles sont actuellement visible dans la vitrine de l'objet du mois. Hall d'entrée du musée Grand Curtius à Liège.
 

Légendes visuels

Paire de nautiles - Grand Curtius.
Copyright Ville de Liège - Grand Curtius.

 

Bibliographie sélective

- Pierre Kjellberg, dans Objets montés du Moyen Âge à nos jours, éditions de l’Amateur, 2000.

- Serge Alexandre, Le nautile en coupe, dans la revue Art&fact n°15 (Mélanges Pierre Colman), 1996, pp. 122-124.

- https://collections.vam.ac.uk/item/O11013/nautilus-cup-partridge-affabel/

- https://www.rct.uk/collection/50603/nautilus-cup

- https://www.rct.uk/collection/themes/trails/wunderkammer-cabinet-of-curiosities/nautilus-cup-0

- https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010113799